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  • L’affaire G....

Mais il y a plus grave. Avenue Bosquet, il y avait un bar-tabac dont le gérant organisait des soirées dansantes. Comme tous les débits de boissons, sa limite de fermeture était fixée à une heure du matin et si la plupart de ses collègues fermaient bien avant cette heure limite, il lui arrivait quelquefois de déborder un peu, mais même fermant à l’heure légale, il lui fallait expulser les fêtards et il y en avait toujours un qui, pris de boissons, s’attardait dans l’avenue et causait des nuisances sonores. Donc, le troquet était en surveillance et il était fréquent d’intervenir. Généralement, c’était la police-secours qui le faisait. Mais, dès l’arrivée du car au bout de l’avenue, très large et bien éclairée, tout le monde s’enfuyait. Evidemment le bruit cessait… pour recommencer quelques temps ou quelques jours plus tard.

Mon patron m’avait demandé de faire, pour l’exemple, des arrestations afin de justifier d’une action auprès des comités de quartier qui le harcelaient. encore une fois, dans la banalisée, au cours d’une ronde, j’entends le brigadier de police-secours annoncer son départ pour l’avenue Bosquet. Je l’intercepte et lui annonce que je m’y rends avec mes civils. il accuse réception et se tient en réserve de renfort.

Arrivés sur place, nous remarquons deux individus, en état d’ivresse avancée, en discussion avec le patron du bar qui tente de les faire sortir. A ma vue, l’un deux se retourne vers moi et m’injurie copieusement en m’exhibant une carte de police. Le poivrot ne cessant de gesticuler, difficile d’identifier avec certitude le document présenté et les injures continuent. il me saute à la gorge. Mes deux civils interviennent et le maîtrisent. L’un d’eux était un ancien fort des Halles reclassé gardien de la paix à la suite de la dissolution de ce corps particulier de la ville de Paris. C’est dire que notre gringalet tombait mal. on le charge dans la 403 ! L’autre ivrogne, lui aussi policier est pris en compte par le car, arrivé en renfort. et tout ce beau monde se retrouve au poste central.

Loin de se calmer, mon agresseur donna du fil à retordre aux gardiens chargés de sa mise en cellule de dégrisement.

Ils étaient effectivement tous les deux de la “Maison”, mais officiers de police judiciaire et se plaçaient tout naturellement au-dessus de la menue flicaille. Mon assaillant menait un tapage infernal, grimpant aux grilles de sa cage, injuriant tous les présents.

J’avais dans ma brigade, un brigadier du gabarit de mon fort des Halles que je savais pas très patient, je le voyais ronger son frein, seule ma présence pouvait le retenir. Pour éviter une aggravation plus que prévisible, je lui mettais un crayon et une feuille de papier dans les mains avec mission d’écrire tout ce que racontait notre détenu. Pour résumer, je n’en citerai que quelques-unes, d’ailleurs, j’en ai oublié les trois-quarts : « Bande d’enculés – (ça, c’est du classique, mais il y avait plus intéressant)… Pompidou est un enfoiré, je lui ferai la peau…etc., etc. ». Cette apostrophe au chef de l’etat devait bien nous servir.

Dans ce genre d’affaire, il convient de prévenir l’Etat-Major. Toute la nuit, notre homme ne cessa d’hurler et de gesticuler, alors que son collègue, se dégrisant peu à peu commençait à s’inquiéter sur les suites de leur affaire. Vers cinq heures, le commissaire chef de la brigade des deux barbouzes fait une entrée fracassante dans mon bureau et exige, en termes choisis, la relaxe de ses limiers. Je le laisse s’apaiser et je lui explique qu’ils sont coupables d’un délit et à la disposition de mon patron et que je n’ai de comptes à rendre qu’à lui. il tempête encore jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il ne pourra avoir satisfaction que par la violence. Devant l’attitude de mon personnel, il constate que le rapport des forces ne lui est pas favorable et part en proférant des menaces de révocation.

Devant la gravité de la situation je décide de rester à mon poste pour me présenter à l’ouverture des bureaux de l’inspection Générale des services (l’iGS), à neuf heures. Je rends compte à mon patron qui me confirme la régularité des opérations et prend contact avec la direction de l’iGS.

A neuf heures, le directeur de l’iGs me reçoit ; il a sous les yeux mon rapport détaillé et la note des élucubrations écrites par mon brigadier. Dès qu’il me parle, je comprends qu’il a eu une conversation avec mon patron. Il voit encore les traces des doigts sales sur le col de ma chemise blanche. Ça se présente bien.

« J’ai lu votre rapport, je m’étonne que G... (c’est le nom de l’énergumène) soit arrivé jusqu’ici intact, il méritait une correction – Je sais, monsieur le Directeur, c’est pourquoi j’ai occupé les mains de mon brigadier. Pendant qu’il écrivait, il ne pouvait être ailleurs. »

Il fait entrer les deux inspecteurs et exige que chacun me présente des excuses. Comme il me sent prêt à écarter cette humiliation, me fixant, il ajoute : « Monsieur Duriez, c’est ça ou la transmission du dossier à la justice. » Je m’incline et je suis aussi gêné qu’eux. Le policier délinquant était un neveu d'un coureur cycliste célèbre dans les années trente. Il était le raymond Poulidor de l’époque, toujours bien placé mais n’ayant jamais gagné le Tour de France. En outre, sa carrière avait été interrompue par la déclaration de guerre.

L’anecdote qui va suivre mettra un point final à ma chronique sur le 7e arrondissement.

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